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Qu’est-ce que l’homme ?
Regards croisés de la science et de la théologie

Silvain Dupertuis

 

[Chapeau]

Une assistance assez nombreuse, majoritairement jeune, était rassemblée pour la troisième journée du Réseau des scientifiques évangéliques (RSE) de Suisse romande. Une rencontre d’une grande qualité autour de cette vieille interrogation : « Qu’est-ce que l’homme ? »

 

[Texte]

Qu’est-ce que l’homme ? Cette question aussi ancienne qu’universelle fait sans doute partie de sa propre réponse… puisque nous sommes la seule espèce à nous la poser ! Pour l’aborder, avec les regards croisés de spécialistes de la théologie, de la génétique et des neurosciences, près de 80 personnes s’étaient rassemblées à Nyon pour la journée de réflexion du 6 avril, troisième du genre. Les scientifiques ont abordé aussi bien les questions d’évolution que les recherches récentes en neurosciences. Plusieurs des jeunes GBUssiens présents sont même repartis un peu frustrés… de ne pas avoir eu le temps de poser leur question lors de la table ronde finale !

Une parabole historique

Matthieu Richelle, professeur d’Ancien Testament à la Faculté de Vaux, nous a gratifiés de deux exposés. Spécialiste des textes du Proche-Orient ancien, il nous fait découvrir les richesses du sens des textes bibliques, d’un point de vue strictement exégétique, c’est-à-dire dans leur intention originale. Sur les premiers chapitres de la Genèse, il apporte sa réponse à quatre questions :

a) Les faits rapportés sont-ils à prendre à la lettre ? Non, explique-t-il, car les multiples motifs et images sont quasi tous repris de motifs existants dans la littérature préexistante au Proche-Orient. Des motifs que les Anciens ne prenaient pas à la lettre – et dont certains sont repris ailleurs dans la Bible de manière imagée. Mais avec ces motifs, le texte raconte une toute autre histoire, en contraste saisissant avec les conceptions de l’époque…

b) S’agit-il de personnages réels ? Les exégètes ne sont pas unanimes, mais notre orateur plaide pour des personnages historiques en Genèse 2 et suivants.

c) Les généalogies de Gen 4-11 permettent-elles de calculer des durées ? Non, car on n’hésite pas à sauter des générations…

d) Adam et Ève sont-ils à comprendre littéralement comme ancêtres de toute l’humanité ? Pas nécessairement. D’ailleurs l’histoire de Caïn et Abel se situe dans une terre habitée par d’autres populations humaines…

En résumé, selon Matthieu Richelle, on a dans la Genèse des paraboles avec un substrat historique.

Émergence dans la lignée animale

Nicolas Ray est spécialiste de la génétique des populations. Avec les données récentes de la génétique, l’analyse détaillée du génome de l’homme, de diverses populations humaines et de nombreuses espèces – y compris disparues, notre appartenance biologique à la lignée animale est maintenant selon lui une certitude. Notre espèce daterait d’environ 200000 ans, avec un origine africaine, une première colonisation de l’Asie et de l’Australie il y a 70000 ans et celle de l’Europe il y a 40000 ans.

Comment recoller ce paysage biologique avec notre compréhension de l’Écriture ? N. Ray reprend à son compte le modèle de l’homo divinus – un couple du néolithique auquel Dieu se serait révélé – modèle déjà présenté par Denis Alexander dans sa contribution à la conférence du RSE de Paris en janvier 2012.

En image de Dieu

Mais tout cela ne répond toujours pas à la question posée : qu’est-ce que l’homme ? A la lumière des récits bibliques, Mathieu Richelle nous ramène à ce lieu fondamental : la création « en image de Dieu » – plutôt qu’« à l’image de Dieu ». Derrière cette nuance de traduction, justifiée par l’analyse comparative avec les textes proche-orientaux, se cache une nuance de sens essentielle. Ce n’est pas dans des qualités spécifiques (intelligence, langage, existence de l’âme) que notre vraie humanité se situe, mais dans ce statut d’image, de représentant de Dieu sur terre, avec le mandat de domination qui nous est confié. Un mandat qui bien entendu pose certaines questions et implique une responsabilité certaine… et ce pourrait être le sujet d’une future journée du RSE.

 

 

 

 

Encadré web

Le Réseau des scientifiques évangéliques a été lancé en 2008 par les Groupes bibliques universitaires, sur l’initiative de Lydia Jaeger, professeur à la Faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine. La branche suisse romande a été lancée il y a trois ans à l’initiative de Peter Clarke.

Les contributeurs de cette journée du 6 avril 2013 étaient

  • Peter Clarke, professeur associé à l’Université de Lausanne jusqu’à sa retraite en 2012. Il est rédacteur adjoint du journal Science & Christian Belief, et auteur du livre Dieu, l’homme et le cerveau (Croire Pocket, 2012), dont il a présenté les points fondamentaux dans sa conférence.
  • Nicolas Ray est chargé d’enseignement à l’Institut des Sciences de l’Environnement de l’Université de Genève. Il travaille notamment sur la modélisation des mouvements des populations humaines préhistoriques.
  • Matthieu Richelle est professeur d’Ancien Testament à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine. Une partie de ses publications porte sur le début de la Genèse (dont La Bible et l’archéologie).
  • Micah Murrey est professeur associé aux départements des neurosciences cliniques et de radiologie au CHUV. Expert des méthodes non-invasives de neuroimagerie. www.unil.ch/fenl.

Les actes de la conférence du RSE à Paris en 2012, dont la thématique et les conférences recouvraient en partie cette dernière conférence de Nyon, ont été publiées dans l’ouvrage récemment paru : Adam, qui es-tu ? Perspectives bibliques et scientifiques sur l’origine de l’humanité (Groupes Bibliques Universitaires – Excelsis, Paris, 2013, avec des contributions de Lydia Jaeger, Denis Alexander, Henri Blocher, Jacques Buchhold, Marc Godinot, Matthieu Richelle, Nicolas Ray).